Une injection d’art contre la grippe… L’association des médecins francophones au Canada redécouvre la thérapie symbolique de la Renaissance!

Voici un article très intéressant sur la prescription de visites d’art au Canada. Tant pour les maladies mentales que pour les souffrances physiques. Mais avant tout quelques réflexions.

Médaillon du Campanile de la Cathédrale Santa Maria del Fiore, Florence.                                                            

Il faut signaler que pour le médecin de la Renaissance il était assez normal de prescrire un pèlerinage ou une visite d’un lieu chargé d’une énergie particulière. Il va sans dire que l’art est pour certains un vecteur de dépassement, de transcendance. L’objet d’art nous communique un invisible qui déborde de la pure représentation qui se tient devant nous. Pour d’autres, la différence entre un objet d’art et un objet commun consiste dans le fait que l’art renvoie à un « surplus de sens » qui n’est pas pleinement définissable. Au contraire la définition d’objet commun se réduit le plus souvent à l’usage que l’on peut faire de l’objet.

Ici on parle juste de l’objet et pas de l’artiste qui est certes celui qui arrive à enchanter aussi l’objet commun et à le rendre donc objet d’art. L’art en général sort de la pensée prédominante, pathologie déjà décryptée par Heidegger, « pensée calculante » qui réduit tout à usage technique.

Umberto Galimberti, philosophe et psychanalyste jungien, nous offre cet exemple en se référant à Giacomo Leopardi, un sublime poète italien.

« Que fais-tu, lune, dans le ciel ? Dis-moi : que fais-tu, silencieuse lune ? Tu te lèves le soir, et tu vas contemplant les déserts ; puis tu te couches. N’es-tu pas encore rassasiée de repasser toujours dans les éternels sentiers ? Le dégoût ne te prend-il pas encore ? Es-tu encore désireuse de regarder ces vallées ? … »

Chant nocturne d’un berger nomade de l’Asie » G. Leopardi (1831)

« Que fais-tu lune dans le ciel? » S’adresser à la lune comme à une interlocutrice féminine et lui faire endosser nos émotions peut sembler totalement pathologique: une folie si on l’analyse avec le mode de pensée courant! Cependant le poète arrive à ajouter à cet « objet commun » un plus qui produit ce dépassement et dépaysement qui cassent la pensée calculante.

Nous ne pouvons qu’encourager donc la nécessité de fréquenter l’art dans nos thérapies et dans nos vies de thérapeutes et d’analysants.

A suivre…

                                                                                                                                                                                                  Marco Zulian

Voici donc l’article de l’association des médecins francophones au Canada :

Prescriptions médicales d’art

 
Et une proposition musicale parmi d’autres possibles:  
« Antidotum tarantulae », par le magnifique ensemble l’Arpeggiata.

Poème: « CHANT NOCTURNE D’UN BERGER NOMADE DE L’ASIE

La pensée calculante et la pensée méditante

« Lorsque nous dressons un plan, participons à une recherche, organisons une entreprise, nous comptons toujours avec des circonstances données. Nous les faisons entrer en ligne de compte dans un calcul qui vise des buts déterminés. Nous escomptons d’avance des résultats définis. Ce calcul caractérise toute pensée planifiante et toute recherche. Une pareille pensée ou recherche demeure un calcul, là même où elle n’opère pas sur des nombres et n’utilise ni simples machines à calculer ni calculatrices électroniques. La pensée qui compte calcule. Elle soumet au calcul des possibilités toujours nouvelles, de plus en plus riches en perspectives et en même temps plus économiques. La pensée qui calcule ne nous laisse aucun répit et nous pousse d’une chance à la suivante. La pensée qui calcule ne s’arrête jamais, ne rentre pas en elle même. Elle n’est pas une pensée méditante, une pensée à la poursuite du sens qui domine dans tout ce qui est.
Il y a ainsi deux sortes de pensée, dont chacune est à la fois légitime et nécessaire : la pensée qui calcule et la pensée qui médite.
Or c’est cette seconde pensée que nous avons en vue lorsque nous disons que l’homme est en fuite devant la pensée. Malheureusement, objectera-t-on, la pure méditation ne s’aperçoit pas qu’elle flotte au-dessus de la réalité, qu’elle n’a plus de contact avec le sol. Elle ne sert à rien dans l’expédition des affaires courantes. Elle n’aide en rien aux réalisations d’ordre pratique.
Et l’on ajoute, pour terminer, que la pure et simple méditation, que la pensée lente et patiente est trop « haute » pour l’entendement ordinaire. De cette excuse il n’y a qu’une chose à retenir, c’est qu’une pensée méditante est, aussi peu que la pensée calculante, un phénomène spontané. La pensée qui méditez exige parfois un grand effort et requiert toujours un long entraînement. Elle réclame des soins encore plus délicats que tout autre authentique métier. Elle doit aussi, comme le paysan, savoir attendre que le grain germe et que l’épi mûrisse. »

Martin Heidegger, Sérénité, in Questions III, édit. Gallimard, 1990, p. 163.

                                                                                                                                  ”